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★★★★★ Lola Montès


Max Ophuls / 1955 / France-RFA

Avec : Martine Carol (Lola Montès, comtesse de Lansfield), Peter Ustinov (Jones, le grand écuyer), Anton Walbrook (le roi Louis Ier de Bavière), Oskar Werner (l'étudiant munichois), Ivan Desny (le lieutenant Thomas James), Lise Delamare (Mrs. Craigie, mère de Lola), Paulette Dubost (Joséphine), Henri Guisol (Maurice), Jean Galland (le secrétaire du baron), Will Quadflieg (Franz Liszt), Héléna Manson (Miss James), Germaine Delbat (la stewardess), Jacques Fayet (le jeune steward), Carl Esmond (le médecin du cirque), Friedrich Domin (le directeur du cirque), Gustav Waldau (le professeur Jeppner), Claude Pinoteau (Claudio Pirotto, chef d'orchestre), Jacqueline Cantrelle (Mme Pirotto), Béatrice Arnac (une écuyère), Bernard Musson (un musicien)...


Derrière le film (beaucoup trop) longtemps maudit, un authentique chef-d’œuvre prenant un peu plus de plus-value à chaque nouvelle rediffusion/restauration. Paul Vecchiali a fort bien synthétisé en dix lignes les raisons qui entraînèrent des décennies de malentendus : le producteur de Lola Montès exigeait Martine Carol (alors, bien que pour plus très longtemps, l’actrice française la mieux cotée au box-office), là où Ophuls avait longtemps balancé entre Darrieux et la débutante Béatrice Arnac (« recyclée », du coup, en silhouette-écuyère), le public attendait un biopic à la sauce Christian-Jaque, façon Lucrèce Borgia, et non une fresque oscillant entre kaléidoscope et carrousel. Que croyez-vous qu’il advint ? Le film, monté, démonté (ce également par une partie de la critique), remonté connut un échec retentissant, avec pour principaux dommages collatéraux une mise à la retraite anticipée d’Ophuls, qui mourut deux ans plus tard, sans avoir pu mener à bien son projet autour de Modigliani, repris par Becker, et un effondrement irréversible de la cote de sa principale interprète au box-office. Après l’échec cuisant de Lola Montès, Martine resta près de deux ans sans travailler, et, dans l’intervalle, l’accès attendu de Brigitte Bardot au vedettariat à part entière lui porta l’estocade finale.


Six décennies après les faits, la version diffusée enfin conforme à la vision originale d’Ophuls (au choix de la tête d’affiche près), Lola Montès reste, au même titre que Le Plaisir ou Madame de…, Un condamné à mort s’est échappé ou Pickpocket, l’un des très rares films tournés en France au cours des moroses années 1950 à pouvoir prétendre à bon droit au titre de chef-d’œuvre intemporel. Tout ce qui déçut et/ou déplut vivement en 1956 ne fait que renforcer le sentiment d’infinie perfection procuré par l’ensemble aujourd'hui : la construction non linéaire de sa trame scénaristique, les délires visuels rouges et bleus et les délires sonores – qui étaient tout sauf des délires, tant il apparaît évident avec soixante ans de recul que rien n’a jamais été laissé au hasard – ou la mégalomanie présumée d’Ophuls, les éclairages faussement bizarroïdes de Christian Matras, le travail exceptionnel de Georges Annenkov et de Marcel Escoffier sur les maquettes costumes, la partition musicale d’une classe folle de Georges Auric, les dialogues étincelants – peut-être trop élégants pour le spectateur mid-Fifties lambda, qui préférait (il avait tort) la plume d’Henri Jeanson à celle, autrement plus subtile alors, d’Annette Wademant – et la surprenante sobriété de Martine Carol, enfin sortie, à ses risques et périls de son emploi-type de brave fille oscillant entre mœurs légères et repartie facile, et témoignant d’une dignité constante dans « l’incarnation » d’un rôle écrit pour une autre…


L’extraordinaire vigueur – pour ne pas dire force ou puissance (termes si souvent galvaudés) – dont peut se prévaloir, à bon droit, Lola Montès deux heures de film durant, est peut-être encore renforcée par le fait que pas un plan, pas un regard caméra, pas une ligne de texte ne sont à reprendre. Cette justesse de chaque instant, au seul rapport de l’écriture filmique stricto sensu, se retrouve dans une direction d’acteur au-delà de l'exemplarité. Martine Carol a trouvé, de très loin, dans le personnage de la comtesse de Lansfield le rôle le plus dense et le mieux interprété d’une carrière ayant rapidement abouti à une impasse. La chute programmée de Lola, grande scandaleuse et maîtresse de roi richement entretenue – grande amoureuse, surtout – devenue attraction foraine toussotante et crachotante (sans rien perdre au passage de sa dignité), anticipe peu ou prou celle de son interprète au sein du star system des années 1950 : la performance de Martine n’en est que plus poignante, quand bien même se prendrait-on à rêver, de façon un peu vaine, à ce que Danielle aurait fait du rôle, à la suite de ceux d’Emma (La Ronde), de Rosa (Le Plaisir), de Louise (Madame de…). Le reste de la distribution est à l’avenant, qui inclut le génie sidérant de Peter Ustinov, mis au service d’un personnage de margoulin bien plus nuancé (et humain) qu’il n’y paraît de prime abord, le courage méritoire de Lise Delamare, d’Ivan Desny et de Jean Galland, défendant tous trois avec les honneurs, et toute l’humilité requise, des personnages difficiles – voire impossibles – à sauver, l’immense probité dont font montre Henri Guisol, Paulette Dubost, dans la durée, Héléna Manson, l’espace d’une séquence brève mais saisissante, l’extraordinaire performance, enfin, d’Anton Walbrook, alter ego sublime d’Ophuls cinéaste, et d’une manière plus large, la justesse des « comparses allemands », visages peu familiers, pour une grande partie partie d’entre eux, au spectateur français, mais qui, pris ensemble ou collectivement, sont tous peu ou prou dignes d’éloges…


Paul Vecchiali – pourquoi se priver du plaisir de le citer à nouveau ? – parle volontiers de de grand film incompris, décrié et réhabilité sur le tard, comme d’une « somme de miracles ». Il a, dans le cas spécifique de Lola Montès, sans nul doute raison. Mais, en poussant le raisonnement un peu plus avant, peut-être serait-il judicieux d’étendre cette notion rarement mise en avant – un grand miracle de celluloïd découlant de la juxtaposition cohérente de miracles pris individuellement – à d’autres cinéastes XXL que le seul Ophuls. Au hasard (Balthazar) : Tourneur, Duvivier, Autant-Lara (parfois), Guitry (souvent), Grémillon (toujours), Bresson (même remarque), Étaix, Godard, Demy, Cavalier, Vecchiali lui-même, plus près de nous, Matthieu Amalric ou Albert Serra. L’idée n’est pas que séduisante en soi : elle reste peut-être à creuser, sinon à méditer…


© Armel De Lorme / L’@ide-Mémoire, octobre 2018. Toute reproduction même partielle interdite, sauf autorisation expresse écrite des auteur et éditeur.


Photo : Martine Carol, dans le rôle-titre.

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