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★☆☆☆☆ Le Mariage de Chiffon


Claude Autant-Lara / 1941 / France

Avec : Odette Joyeux (Corysande d’Avesnes, dite Chiffon), André Luguet (le colonel-duc Gérard d’Aubières), Jacques Dumesnil (Marc de Bray), Suzanne Dantès (la marquise de Bray), Louis Seigner (le marquis Philippe de Bray), Georges Vitray (John Van Doren), Robert Le Vigan (Me Blondin, l’huissier), Pierre Larquey (Jean, le domestique), Monette Dinay (la vicomtesse Alice de Liron), Bernard Blier (le garçon d’étage), Marthe Mellot (la buraliste), Richard Francœur (Léon, le directeur de l’hôtel), Pierre Jourdan (le capitaine), France Ellys (Sophie, la directrice de l’hôtel), Yvonne Yma (Mathilde, la cuisinière), Raymond Bussières (Marcel Férez, le 1er mécanicien), Germaine Stainval (la cliente de l’hôtel), Max Doria (le caporal), Paul Frankeur (le 2nd mécanicien), Jeanne Pérez (?) (Mme Férez), Jean Boissemond, Émile Genevois (?).


De retour dans une ennuyeuse ville de province où il n’a pas mis les bottes depuis douze ans, le colonel-duc d’Aubières s’y éprend, un soir de pluie, d’une adolescente fantasque, déjà potentiellement femme, Chiffon, qui s’étiole entre une mère autoritaire et collet monté, un beau-père débonnaire et soumis et un oncle par alliance encore jeune et séduisant dont elle est secrètement amoureuse. Affrontements sans conséquences entre Corysande et la marquise sa mère. Amourettes sans lendemain entre l’oncle Marc et la coquette Alice de Liron, mariée à un égyptologue laid, binoclard et souvent absent. Tentatives désespérées de Marc, harcelé par sa belle-sœur, traqué par les huissiers, pour promouvoir un prototype d’avion dont il est l’inventeur. Sacrifice de Chiffon, qui, afin d’apurer les dettes de son oncle, se dit prête à épouser le colonel-duc d’Aubières, lequel constitue, aux yeux de sa belle-famille, une sorte de parti idéal en soi. Happy end, le jour même des fiançailles officielles, lorsqu’un riche mécène américain, rameuté par le sympathique huissier venu apposer les scellés sur le hangar de Marc, lui achète à prix d’or le fameux prototype. Au cours du lunch qui s’ensuit, le promis, comprenant l’attirance mutuelle éprouvée depuis des années par la promise et Marc, s’éclipse sur la pointe des pieds, sous le regard bienveillant du vieux domestique de la famille.


Premier en date des quatre longs-métrages tournés entre 1941 et 1945 par le trio Autant-Lara/Philippe Agostini/Odette Joyeux, Le Mariage de Chiffon est aussi le moins réussi du lot, malgré la somptuosité des décors de Jacques Krauss, la richesse des costumes dessinés par Autant-Lara en personne et la présence conjointe au générique d’artistes déclinant leurs partitions respectives dans la majeure partie des cas au plus-que-parfait. On ne sait à qui décerner les éloges les plus mérités : Jacques Dumesnil ou d’André Luguet ? Robert Le Vigan ou Georges Vitray ? France Ellys – ici distribuée dans ce qui reste probablement, à l’écran, le rôle de sa vie – ou Marthe Mellot, présence fugitive mais probante traversant la séquence d’ouverture ? Odette Joyeux, inégalement photographiée, n’atteint pas le niveau de jeu qui caractérisera les rôles de Zélie Fontaine (Lettres d’amour), de Douce et de Sylvie, mais en a suffisamment sous le pied pour assumer un personnage revendiquant seize ans à peine là où elle-même vient d’entrer dans sa 32ème année : elle se sort d’affaire haut la main, ce qui est bien, et ne ne se croit pas pour autant obligée de minauder, ce qui est mieux.


La réalisation, elle, pèche de bout en bout par excès de systématisme, et ressemble un peu en cela aux partitions respectives de Suzanne Dantès, engoncée dans un rôle impossible à défendre, de Monette Dinay, comédienne solide et sensible s'accommodant mal d’une caricature premier degré (en attendant la Madame Jambier de La Traversée de Paris) et, surtout, d’un Bernard Blier jouant déjà en plein la carte de l’intention que l’on souligne en levant discrètement le sourcil en affectant un air inspiré (pouah). Le roman, bien que né, un demi-siècle auparavant, sous la plume d’une écrivaine – mi-réactionnaire, mi-antisémite – bien dans l’air du temps, était néanmoins charmant, sa transposition à l’écran l’est à peine, qui aurait justifié un peu plus de grâce, formellement parlant, et davantage de fantaisie. À défaut, restent de très jolis moments de cinéma, absents des deux premiers tiers du film, mais constituant l’essentiel de la dernière partie, portée par le charme de Joyeux, l’émotion rentrée perçant derrière le jeu de Dumesnil et le tact infini de Larquey. Par une véritable réussite, mais pas déshonorant non plus : le brouillon mi-chair mi-poisson, joli sans plus et raisonnablement plaisant, du parfait sans-faute que constitueront, au cours des quatre années suivantes Lettres d’amour, Douce et Sylvie et le fantôme.


© Armel De Lorme / L’@ide-Mémoire, novembre 2018. Toute reproduction même partielle interdite, sauf autorisation écrite des auteur et éditeur.


Photo : Monette Dinay et Jacques Dumesnil, Gaumont, D.R.

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