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★★★☆☆ Le Mariage à la mode


Michel Mardore / 1973 / France

Avec : Catherine Jourdan (Ariel), Yves Beneyton (Jean-Michel), Julian Negulesco (Richard), Jacqueline Danno (la riche lesbienne), Gilles Ségal (Paul), Geraldine Chaplin (Marie des Anges), Maurice Bénichou (Léporello dans Don Juan et Faust), Sylvette Cabrisseau (l’infirmière), Philippe Clévenot (Don Juan dans Don Juan et Faust), Bernard Geneste (le contremaître), Philippe Guéroult (le photographe), Linda Gutenberg (la ménagère au supermarché), Anne Iacta (la fille topless aux colliers), Jacques Lalande (le grand patron), Jean-Jacques Moreau (le journaliste lyonnais), Anne Simons (l’ouvrière), Françoise Vercruyssen (Lisette dans Don Juan et Faust), Nathalie Zeiger (le flirt de Jean-Michel au théâtre).


L’actrice Clotilde Joano, parfois créditée du rôle de « la lesbienne » (tenu dans les faits par Jacqueline Danno), n’apparaît absolument pas au cours du film.


Adapté par Michel Mardore de son propre roman éponyme (publié l’année même qui le vit réaliser son premier long-métrage, Le Sauveur et apparaître fugitivement dans Peau d’Âne), ce second film – entendre par là à la fois le deuxième et le dernier réalisé par l’ex-critique des Cahiers – fonctionne un peu à l’inverse du supplice du pal : il commence très mal, mais, une fois sa vitesse de croisière (rapidement) atteinte, termine on ne peut mieux (sauf pour le protagoniste masculin, ce qui n’est pas très important en soi). Le maquillage crayeux et la coloration carotte de Catherine Joudan, le visage perpétuellement crispé d’Yves Beneyton, leurs étreintes nerveuses et blafardes, les dialogues trop écrits pour être honnêtes confiés à Gilles Ségal (mal à l’aise et mettant néanmoins toute sa probité d’acteur au service d’un personnage-repoussoir), le traitement naturaliste des séquences lyonnaises, le faux-vrai viol (consenti) de Jourdan par Beneyton laissent présager le pire. Une demi-heure du plus tard, ce qui est mieux que rien, le charme commence enfin à opérer, qui dès lors ne cesse d’aller crescendo. À quel moment la bascule a-t-elle lieu ? Bien malin qui saurait le dire. Peut-être la séquence dialoguée au cours de laquelle le discours hautement prémonitoire pour le coup de Beneyton semble annoncer la France des années 2010 – fascisme et résignation – dans toute son horreur, à laquelle viennent s’enchaîner trois scènes filmées l’une et l’autre au cordeau, épatamment interprétées par Jacqueline Danno, lesbienne de choc, pour la première, par Linda Gutenberg, ménagère à la ramasse, pour la deuxième, par Geraldine Chaplin (aplomb et ambiguïté) pour la troisième.


Tout ce qui suit est filmé sans temps mort ni scorie, en même temps que les deux protagonistes, enfin échappés au systématisme ambiant de la première partie, gagnent en profondeur et en véracité. Jourdan s’affirme, Beneyton réveille ses failles, quelque chose de durable s’installe, qui n’est pas sans rappeler le meilleur de Rohmer et d’Eustache et ne néglige pas, à l’occasion, de payer son tribut au Cinématographe selon JLG et Jean Rouch : c’est dans le café de Vivre sa vie que Jourdan et Beneyton ont leur plus jolie scène commune, c’est place de l’Europe, dans un cadre rappelant comme un jumeau celui du deuxième sketch de Paris vu par…, qu’ont lieu les retrouvailles inattendues de Jourdan et de Julian Negulesco, lui, formidable de bout en bout dans le personnage le plus réussi (avec celui de Danno) que comporte le film. Passé en l’espace de deux scènes du statut de tombeur de Club Med Seventies en jeans immaculé, chemise bling-bling ouverte sur le torse et sabots suédois, en amoureux transi mais décidé assumant pêle-mêle son côté faussement hableur, ses sentiments, ses fêlures, il constitue l’exact contrepoint de Beneyton, dont dès lors le faux bonheur conjugal semble – à juste titre – singulièrement compromis. La séquence de rupture téléphonique qui s’ensuit en toute logique (Jourdan expliquant tranquillement à son futur-ex que la cause première de son départ réside dans le fait que la lettre destinée à Negulesco, rédigée dans le but de mettre son rival à terre, lui a simultanément ouvert les yeux sur la vacuité de l’un et la noblesse de l’autre) , est une merveille d’intelligence comme d’écriture cinématographique. Le verdict final tombé avec la vigueur d’un couperet de guillotine sur la nuque de Beneyton, le film s’arrête brutalement sur un cut servant d’amorce au générique de fin. Était-il nécessaire d’en dire davantage ? A priori non. Pour autant, Mardore a-t-il cédé à la tentation de juger les uns pour « sauver » les autres ? Absolument pas, et cette attention constante portée aux personnages sans qu’il ne soit jamais question de les juger, fait partie des nombreuses et indéniables qualités à porter au crédit de ce film déroutant, surfant sur l’air du temps et néanmoins d’une atemporalité à toute épreuve.


© Armel De Lorme / L’@ide-Mémoire, novembre 2018. Toute reproduction même partielle interdite, sauf autorisation écrite des auteur et éditeur.


Photo : Geraldine Chaplin, Catherine Jourdan et Yves Beneyton, Diaphane Films, D.R.

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