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★☆☆☆☆ La Femme du boulanger


Marcel Pagnol / 1938 / France

Avec : Raimu (Aimable Castagnier, le boulanger), Ginette Leclerc (Aurélie Castagnier, la boulangère), Fernand Charpin (le marquis Castan de Venelles), Charles Moulin (Dominique, le premier berger du marquis), Édouard Delmont (Maillefer, dit Patience, le pêcheur), Robert Vattier (le curé), Charles Blavette (Antonin, dit Tonin, le chasseur), Robert Bassac (l’instituteur), Marcel Maupi (Barnabé), Alida Rouffe (Céleste, la bonne du curé), Odette Roger [= Odette Charblay] (Miette), Yvette Fournier (Hermine, la serveuse), Maximilienne Max [= Maximilienne] (Mlle Angèle, la vieille fille), Charblay (Arsène, le boucher), Julien Maffre (Pétugue), Adrien Legros (Barthélemy, un berger), Jean Castan (Esprit, le second), Marius Roux (un messager), José Tyrand (un messager), Gustave Merle (le Papet), Paul Dullac (Casimir), Michel.



Part One.


Paul Vecchiali, pas dupe, a (fort bien) écrit tout le mal qu’il pensait de ce monument de démagogie et d’autosatisfaction érigé en chef-d’œuvre universel par des générations entières de cinéphiles paresseux en manque d’admiration. 100 % d’accord. L’universalité du propos est là, c’est vrai, mais elle se pare de bout en bout d’une vision plus réactionnaire encore que simplement machiste. Une bonne épouse est une épouse soumise, le désir charnel semble n’avoir été inventé que pour rendre les braves bougres de maris trop amoureux malheureux comme les pierres, mais, en attendant, le boulanger ne dissimule pas son plaisir de retrouver dans son lit, soir après soir, la jeune épouse pulpeuse qui, jour après jour, lui tient gratuitement le tiroir-caisse. De ce point de vue-là, on n’est pas absolument certain non plus qu’il aurait proposé le mariage à la bonne du curé, vitupérante dondon, ou à la vieille fille et authentique refoulée de service.

À ce regard un peu rance, émanant davantage d’un donneur de leçons assumé (avec tout ce que cela peut impliquer comme sentiment de supériorité, tant vis-à-vis du spectateur que des personnages) que d’un moraliste bon teint, vient s’ajouter – ce qui n’arrange rien – le caractère franchement caricatural des comparses, auxquels Pagnol semble s’être borné de demander de faire rire à leurs dépens. Charpin se montre très inégal, Charles Moulin redoutable dès qu’il ouvre la bouche, Bassac, Vattier et Maximilienne parfaitement exécrables, les autres ont fait nettement mieux ailleurs. Blavette, Delmont, Maupi, Alida Rouffe relèvent le niveau de plusieurs crans, mais on part tout de même de très bas, et la non-performance – aussi surévaluée que le film – de Raimu n’arrange pas les choses. En contrepartie de la brève séquence de la sortie d’église, au cours de laquelle il se montre magistral, on a droit à l’une des crises d’éthylisme les plus grotesques (et les plus mal jouées) jamais filmées depuis que le cinéma existe, au numéro raté de la fausse pendaison, à la métaphore si touchante sur le papier, si ridicule à l’écran, du retour de la chatte Pomponnette… Film lourdingue et pathétique, au mauvais sens du terme, à conseiller, éventuellement, aux nigauds peu regardants et autres adeptes des grands sentiments dégoulinant de partout. Ce qui fait déjà pas mal de monde à l’arrivée, et l’Amérique d’avant la Seconde Guerre mondiale, qui lui fit un triomphe, n’y aura vu que du feu. Chef-d’œuvre, oui, assurément. De malhonnêteté.



Part Two


Avec La Grande Illusion, La Femme du boulanger constitue l’autre imposture du Cinéma français de la seconde moitié des années 1930. Paul Vecchiali l’a écrit (et fort bien), nous ne pouvons donc que le réécrire, avec d’autres mots.


Bien plus encore qu’un attrape-nigauds, le Septième Art est une plaie lorsqu’il se pique de didactisme et de démonstration. C'est bien le problème de La Femme du boulanger, qui accumule les métaphores, ce qui est déjà lourd en soi, et sacrifie de bout en bout ses personnages « secondaires » au profit du seul Raimu, ici très inégal. La tirade de la Pomponnette ressemble - morceau de bravoure façon parpaing à babord, démagogie éhontée à tribord - à la partie de cartes de Marius et semble n’avoir été écrite que dans le but de flatter la paresse du public et son appétence pour l’émotion servie en kit.


Raimu est absolument prodigieux dans le bref plan muet qui le voit s’apprêter à sortir de l’église, avec quelque chose de Chaplin dans la dégaine, en moins systématique, et qui, pour le coup, témoigne d’un génie cinématographique bien réel. Quoi d’autre ? Pas grand chose, hormis la présence conjuguée de Blavette, Charpin, Delmont et Alida Rouffe, et la capacité étonnante de Ginette Leclerc, terriblement présente et belle comme il n'est pas permis, à habiter l’écran sans prononcer une parole, face à l’ogre Raimu, lors du pensum interminable qui clôt ce film empesé, laborieux et empreint d’autosatisfaction.


Voilà pourquoi nous continuons à préférer largement la moule encore raisonnablement fraîche – malgré l’âge de sa principale interprète au moment du tournage – de Fanny (Marc Allégret, 1932) aux miches pourtant appétissantes, dorées et rebondies à souhait de La Femme du boulanger. Quitte, en écrivant cela, à faire pousser des cris d'orfraie, comme nous l'avons si bien fait au printemps 2016, à une vieille blogueuse inutile de nos connaissances, cumulant le double et très rédhibitoire handicap que constituent le manque de lucidité et le manque d'humour, a fortiori lorsqu'ils sont réunis en une seule et même personne. Au reste, chère R... D..., si vous vous et vos affidés vous reconnaissez au vu de ce qui a précédé, sachez que nous en serons positivement ravis. Dansez maintenant.


© Armel De Lorme / L’@ide-Mémoire, 2016-2018.


Version remaniée de deux textes extraits de l’Encyclopédie des Longs-Métrages français 1929-1979 - Volume XVI (Armel De Lorme, L’@ide-Mémoire, 2016). Toute reproduction, même partielle, reste soumise à l'accord écrit des auteur et éditeur.


Photo : Ginette Leclerc et Raimu, Les Films Marcel Pagnol, D.R.

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